Le 28 novembre 1947, l’avion dans lequel le Général  Leclerc a pris place s’écrase dans le désert en  Algérie. Aucun rescapé. La nouvelle frappe la France de stupeur tant ce baroudeur paraissait indestructible.

Rien dans le dossier sur l’accident ne peut étayer la thèse d’un attentat» assure le général (cr) Hugues Sylvestre de Sacy, ancien chef du service historique de l’armée de l’air dans le magazine «les Chemins de mémoire», publié par le ministère de la Défense. Cet officier, ancien pilote d’avion de transport, est l’un des meilleurs connaisseurs des circonstances de la mort de Philippe Leclerc de Hautecloque. Et des mystères qui continuent à entourer cet accident d’avion.

le 28 novembre 1947, l’avion dans lequel le général Leclerc a pris place s’écrase dans le désert sur la voie ferrée qui relie Oujda à Colomb-Béchar en Algérie. Aucun rescapé. La nouvelle frappe la France de stupeur. Que s’est-il passé ? Pourquoi ? Enquêtes, conjectures et controverses rendent la vérité difficile à établir, sans compter les rumeurs qui se propagent sur un éventuel attentat.

A l’automne 1947, le climat social est très tendu en France métropolitaine. Outre-mer, la situation se détériore. Le général Leclerc, inspecteur des forces terrestres, aériennes et navales en Afrique du Nord, a reçu pour mission de préparer sur ce territoire une force d’intervention contre les instigateurs potentiels  -notamment les communistes-  de troubles insurrectionnels. C’est dans ce contexte, propice à alimenter la thèse d’un attentat, que Leclerc trouve la mort.

Il est 10h 17, le 28 novembre, quand le B 25 Mitchell, baptisé Tailly 2 du nom de la propriété de Leclerc en Picardie, décolle d’Oran pour Colomb-Béchar. Le général est accompagné de sept collaborateurs. L’équipage  -le pilote, un navigateur, un radio et un mécanicien-  est, depuis fin 1945, attaché à sa personne. Sauf le pilote, le lieutenant Delluc, qui, en septembre, a remplacé le capitaine Michel Le Goc. Ancien du groupe <<Guyenne>>, Delluc a effectué 200 heures de vol en 36 missions de guerre. C’est son cinquième vol avec Leclerc à bord. Ce matin-là, le ciel est chargé, les plafonds relativement bas et la météo annonce des risques de vents de sable. Mais la situation n’est pas catastrophique au point d’annuler le décollage du B 25. En effet, l’équipage est qualifié pour le vol aux instruments et aucun bulletin interdisant les atterrissages n’a été émis par la base de Colomb-Béchar. L’accident provoque donc la consternation.

L’émotion est vive. D’aucuns prétendent que Delluc n’aurait pas dû décoller mais qu’il l’aurait fait sous la pression de Leclerc. Assertion mise à mal par le témoignage d’un équipage qui devait également rejoindre Colomb-Béchar, mais décide de ne pas partir. Le chef de bord rapporte qu’à la station météo, Delluc, qui n’a pas encore vu Leclerc, leur explique que les performances du B 25 en matière d’autonomie lui permettent, si nécessaire, de faire demi-tour sur Oran, ce qui n’est aps le cas de leur Junker 52. Il a donc ainsi pris la décision de partir avant la soi-disant pression exercée par Leclerc. Selon un témoin, avant de monter à bord, le général interroge le pilote sur les conditions météorologiques; Delluc lui donne les prévisions  -perturbations, vents de sable…-  et Leclerc de répondre avec sa brusquerie habituelle: << On passera quand même >>. Peut-on parler de pression ? Même si Delluc connaît mal Leclerc, il sait q’une telle réflexion est dans le style du personnage. Elle ne peut que le conforter dans sa décision de partir et <<d’aller voir>> comme ont dit dans le jargon des pilotes. Il sera toujours temps, en cours de vol, d’annoncer le cas échéant qu’il est impossible de se poser.
Quelques instants avant le décollage, un message de la tour de contrôle fait part d’une aggravation de la météo, sans que cela soit une raison d’annuler (1). Cependant, très peu de temps après le décollage, Delluc se préoccupe des évolutions de la météo au lieu de destination. Il reçoit deux messages à peu d’intervalle. Le premier indique une situation à Béchar meilleure que celle donnée le matin avant le décollage; le second signale une aggravation mais situation toujours meilleure que celle du matin quand l’équipage a décidé de décoller. Ces renseignements figurent dans le procès-verbal des communications radio échangées en morse entre l’avion et la station de Colomb-Béchar. Le PV fournit d’autres informations importantes pour comprendre le déroulement du vol  -telles les corrections apportées sur l’heure estimée d’arrivée et les relèvements goniométriques donnés par Béchar-  et indique l’heure à laquelle est donné chacun de ces renseignements.
Par ailleurs, des témoins ont vu l’avion, d’abord en vol rasant au-dessus de la gare de Bou-Arfa un quart d’heure avant l’accident, puis au moment du crash. Grâce à ces divers éléments, il est possible de reconstituer assez bien les quinze dernières minutes du vol. Premier constat: le pilote n’a pas suivi son plan de vol, qui prévoyait un vol à l’altitude de 2 500 mètres et une percée (2) à l’arrivée. Pourquoi a-t-il jugé préférable de descendre avant et terminer son vol à basse altitude ? La réponse est en partie donnée dans la conclusion du rapport d’enquête: << s’il avait observé son plan de vol, il aurait eu de grosses difficultés à percer par un plafond qu’il s’avait très bas à Colomb-Béchar avec le seul gonio Moyenne Fréquence (3) constituant l’infrastructure radio de cette base, et que dans son esprit cette manœuvre exécutée entre des sommets bouchés devait présenter plus de risques que le vol rasant >>.Il pouvait en effet penser que cette percée serait délicate, les renseignements obtenus en vol par le gonio s’étant révélés faux par rapport à ce qu’il a pu observer au sol. Toutefois on ne peut imaginer qu’il soit descendu à l’aveuglette à travers les nuages dans une région au relief si tourmenté. Il a, à coup sûr, profité d’une éclaircie lui permettant de se recaler avec précision. On peut penser qu’il a identifié la gare de Bou-Arfa sur la voie ferrée conduisant à Colomb-Béchar, qu’il lui suffisait alors de suivre pour arriver à destination. Les données du PV permettent d’estimer à quinze minutes la durée du vol à basse altitude. Que s’est-il passé à l’issue ?

D’après le témoin de l’accident, << la visibilité était très mauvaise par suite d’un fort brouillard formé de pluie fine >>. Par ailleurs, à cet endroit, la voie ferrée devient sinueuse en raison du relief. Delluc, selon toute vraisemblance, réduit sa vitesse. Or, des dernières analyses de l’accident décrites par Jean-Christophe Notin (auteur d’une biographie sur le général Leclerc), il ressort que celui-ci est survenu à la suite d’un départ en vrille à plat dû à une augmentation d’incidence à faible vitesse. Le B 25 percute alors le remblai de la voie de chemin de fer perpendiculairement à celle-ci. Les débris de l’avion et des corps déchiquetés jonchent le sol de part et d’autre de la voie.
Pour comprendre ce qui a pu se passer, il faut revenir sur les modifications apportées à l’avion. Le B 25, avion de bombardement, avait été spécialement aménagé pour les longues missions du général Leclerc, et comportait notamment une couchette dans le poste du mitrailleur de queue. Ces transformations accentuaient la sensibilité de l’appareil aux basses vitesses. Quand la couchette était occupée, le centrage de l’avion s’en trouvait fortement modifié. C’est pour cette raison que, lors des décollages et atterrissages, il était interdit de s’y installer.
Plusieurs années après les faits, dans une lettre adressée à Guy de Valence, ancien aide de camp de Leclerc, Michel Le Goc raconte comment lors d’un décollage du Caire en décembre 1946, il a frôlé la catastrophe: << Quelle ne fut pas ma stupéfaction en arrachant le B 25 du sol, de sentir l’avion basculer d’une seul coup vers l’arrière, les commandes mollir et de voir l’aiguille du Badin (4) régresser brutalement et l’horizon artificiel (5) décrocher ! >> Un décrochage qui aurait pu provoquer une vrille. Un passager n’avait alors pas respecté la consigne… Ne peut-on dès lors envisager que des passagers, surpris par le déroulement imprévu du vol, aient voulu se déplacer vers l’arrière pour voir ce qui se passait ? Ce changement brutal de centrage à basse vitesse suffisait à expliquer le départ en vrille. La découverte par les secours de trois corps dans l’empennage arrière paraît confirmer cette hypothèse.
Tous ceux qui se sont réellement penchés sur les circonstances de cet accident s’accordent à dire que c’est l’explication la plus vraisemblable, déchargeant ainsi Delluc d’une grande part de responsabilité, ce que n’avait pas fait l’armée de l’air dans ses conclusions. En tout cas, rien dans le dossier sur l’accident ne peut étayer la thèse d’un attentat, thèse qui fut alimentée par la présence présumée d’un treizième homme non inscrit sur la liste des passagers. Jean-Christophe Notin croit au treizième homme sans se prononcer sur son identité, ce qui restera vraisemblablement pour toujours un mystère.

Général de brigade aérienne (cr)
Hugues Silvestre de Sacy,
ancien chef du Service historique de l’armée de l’air.
(1) L’inspection de la météorologie jugera qu’il s’agissait de conditions <<dangereuses mais classiques>>, in J-C Notin, Leclerc, éd. Perrin, p. 502.
(2) Une percée consiste à traverser la couche nuageuse, en contrôlant sa position par rapport au sol à l’aide d’un moyen de radionavigation, de manière à se retrouver en vue du sol et de la piste dans une position propice à l’atterrissage.
(3) Instrument qui permet, à partir d’une émission radio de l’avion d’obtenir son relèvement par rapport à la station, et au pilote d’en déduire le cap à suivre pour rejoindre celle-ci.
(4) Instrument de bord indiquant la vitesse de l’avion par rapport à l’air. Du nom de son inventeur.
(5) Instrument de bord indiquant la position de l’avion par rapport à l’horizon.

(textes repris  des Chemins de la Mémoire / 177 13 nov 2008)images (1)

 

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