9 h : de Gaulle s’envole de Bordeaux pour Londres.
12 h 30 : allocution du maréchal Pétain, président du Conseil ; il est diffusé par toutes les radios. Il cesse le combat
Pétain : « Il faut cesser le combat »
À 12 h 20, depuis Bordeaux où le gouvernement s’est réfugié, le maréchal Pétain, nommé la veille au soir président du Conseil par le président Albert Lebrun, à la suite de la démission de Paul Reynaud, adresse aux Français un discours radiodiffusé d’une minute et demie environ : « À l’appel de M. le président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France. […] Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. […] C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire, pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec moi, entre soldats, après la lutte, et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. »
Cette périphrase particulièrement floue sert à dissimuler le conflit âpre ayant opposé les semaines précédentes Paul Reynaud et le haut commandement militaire français, pour lequel la guerre était irrémédiablement perdue : faut-il capituler ou demander un armistice ? Or, Paul Reynaud a signé le 28 mars, au nom de la France, un accord avec la Grande-Bretagne : les deux pays alliés s’interdisent de négocier tout armistice ou paix séparée avec l’Allemagne – et le président du Conseil entend honorer la parole donnée de la France et continuer la lutte dans l’empire français, même si le combat est perdu en métropole : donc, selon lui, c’est une capitulation qu’il faut envisager. Ce que refuse violemment l’état-major, et en premier lieu le généralissime Weygand, appuyé par le maréchal Pétain, car la capitulation rendrait l’armée responsable de la défaite : c’est un armistice qu’il faut, selon les militaires, demander à l’ennemi, acte politique qui empêche le pays de continuer la guerre dans l’empire.
À l’arrière-plan de ce conflit, c’est donc déjà le débat sur les responsabilités de l’effondrement de mai-juin 1940 qui fait rage : pour l’armée, s’exonérant de toute critique sur ses conceptions stratégiques sclérosées et son défaitisme, ce sont les politiques, le Front populaire qui ont mené le pays au désastre. Paul Reynaud, se sentant isolé, mis en minorité au sein même du gouvernement dans la soirée du 16 juin, a donc jeté l’éponge, laissant les mains libres au maréchal Pétain qui avait été nommé vice-président du Conseil le 18 mai. Et, même s’il se garde d’utiliser le mot dans son allocution du lendemain midi, c’est bien un armistice que Pétain, à peine nommé président du Conseil, a demandé à l’Allemagne dès la nuit du 16 au 17 via le gouvernement espagnol : « Le gouvernement du maréchal Pétain prie le gouvernement espagnol d’agir aussi rapidement que possible comme intermédiaire auprès du gouvernement allemand en vue de la cessation des hostilités et de demander les conditions de paix proposées par l’Allemagne. »
Autre non-dit de ce discours radio : quand fallait-il « cesser le combat ? ». Cette imprécision augmenta le nombre de prisonniers de plusieurs centaines de milliers d’hommes. Beaucoup de soldats français ont en effet compris qu’il fallait cesser tout de suite le combat, dès l’annonce par Pétain de la demande en cours, et se sont rendus à l’adversaire en déposant les armes, devenant des prisonniers de guerre. Seuls ceux qui se sont rendus après l’entrée en vigueur de l’armistice, le 25 juin, ont échappé à la capture et au départ pour les camps de prisonniers en Allemagne.
Jean Moulin : « Tout, même la mort », plutôt que le déshonneur
Ce même 17 juin, Jean Moulin, préfet de Chartres demeuré à son poste à l’arrivée des forces ennemies – l’un des seuls préfets des départements envahis à l’avoir fait –, est brutalisé à plusieurs reprises par des officiers allemands, parce qu’il refuse de signer un protocole mensonger rendant des tirailleurs sénégalais de l’armée française responsables du viol et du massacre de femmes et d’enfants (tués en fait par des bombes de l’aviation allemande). Dans la nuit, enfermé aux côtés d’un tirailleur prisonnier, il tente de se suicider : « Pendant sept heures j’ai été mis à la torture physiquement et moralement. Je sais qu’aujourd’hui je suis allé jusqu’à la limite de la résistance. Je sais aussi que demain, si cela recommence, je finirai par signer. […] Je ne peux pas sanctionner cet outrage à l’armée française et me déshonorer moi-même. Tout plutôt que cela, tout, même la mort. […] Mon devoir est tout tracé. Les boches verront qu’un Français aussi est capable de se saborder… […] pour que des soldats français ne puissent pas être traités de criminels […]. » (Jean Moulin, Premier Combat, p. 106-108).
Edmond Michelet : « Celui qui ne se rend pas est mon homme »
Le même jour encore, Edmond Michelet appelle à la résistance dans un tract citant Charles Péguy et qu’il distribue dans des boîtes aux lettres à Brive-la-Gaillarde (Corrèze) : « Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend. […] En temps de guerre, celui qui ne se rend pas est mon homme quel qu’il soit, d’où qu’il vienne et quel que soit son parti. »
Charles Tillon : « Unissez-vous dans l’action ! »
À Bordeaux, Charles Tillon prend l’initiative de diffuser aussi un tract, qu’il signe au nom du Parti communiste : « Le peuple français ne veut pas de l’esclavage, de la misère, du fascisme. Pas plus qu’il n’a voulu de la guerre des capitalistes. Il est le nombre : uni, il sera la force. […] Peuple des usines, des champs, des magasins et des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins, aviateurs encore sous les armes, unissez-vous dans l’action ! ».
Germaine Lemaire : passage à l’acte
Germaine Lemaire, fille de Paul Doumer – président de la République de 1931 jusqu’à son assassinat en 1932 – et dont trois frères avaient été tués pendant la guerre de 1914-1918, exécute un sous-officier allemand à Cosne-sur-Loire (Nièvre).
Charles de Gaulle : « Comme un homme au bord d’un océan »
Le même jour, enfin, le général de brigade Charles de Gaulle, nommé par Paul Reynaud sous-secrétaire d’État à la défense nationale et de la guerre le 6 juin, repart en avion pour Londres de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, dès 8 h 30 du matin. Il vient de rentrer la veille au soir d’une mission gouvernementale dont l’avait chargé Paul Reynaud, autour d’un projet d’union de la France et de la Grande-Bretagne lancé par Jean Monnet. Il est allé à deux reprises à Londres, les 9 et 16 juin – il apprend le changement de gouvernement le 16 au soir en descendant d’avion à Mérignac.
Le 17, il n’est plus en mission officielle, depuis la démission de Paul Reynaud la veille. Son nouveau départ pour Londres est donc une décision personnelle de continuer la lutte, un geste non conformiste et de rupture : sans ordre reçu, il se trouve en situation de désobéissance à sa hiérarchie, d’indiscipline. Le même jour, à Brest, sa famille réussit à prendre le dernier bateau pour l’Angleterre, ce qui confirme que le départ du Général était prémédité et non une impulsion – de fait, il précède l’allocution de Pétain à la radio. « Je m’apparaissais à moi-même seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage. » (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, t. I, « L’Appel »).
À son arrivée dans la capitale britannique, en compagnie de son aide de camp, le lieutenant Geoffroy de Courcel, et du général Spears, agent de liaison personnel de Churchill auprès du gouvernement français, de Gaulle rencontre pour la cinquième fois en huit jours Winston Churchill, le Premier ministre, et obtient aisément de lui l’autorisation de s’adresser aux Français sur les ondes de la BBC. Le lendemain, 18 juin 1940, mais ceci est un autre jour…