Konrad Hermann Joseph Adenauer (prononcé, en allemand), né le 5 janvier 1876 à Cologne et mort le 19 avril 1967 à Rhöndorf,
Première rencontre entre de Gaulle et Adenauer à Colombey le 14 septembre 1958. Le général de Gaulle reçoit le chancelier allemand Adenauer en privé à Colombey-les-Deux-Églises. C’est le début d’une longue marche vers la réconciliation entre Paris et Berlin .«Un événement de portée historique, Malgré ce retard, de Gaulle président du Conseil depuis le 1er juin 1958, accueille chaleureusement le chef d’État. C’est l’unique fois qu’un chef de gouvernement étranger sera reçu à la Boisserie et y passera une nuit. L’intimité du cadre laisse à penser que les deux chefs de gouvernement vont parvenir à établir de bonnes relations. C’est ce qui se passe. De cette rencontre naîtra une amitié entre les deux hommes. Et surtout cette entrevue marque la réconciliation entre les deux pays qui aboutira à la signature du Traité de l’Élysée le 22 janvier 1963.que» selon les Allemands.
Le Général et le chancelier
Article paru dans Le Figaro du 13-14 septembre 1958
Si un intérêt exceptionnel s’attache à la rencontre du général de Gaulle et du chancelier Adenauer, qui doit avoir lieu demain dimanche, à Colombey, ce n’est pas seulement parce que l’un et l’autre sont, au propre et au figuré, des hommes de grande taille, c’est aussi parce qu’ils représentent, tous deux des peuples dont l’hostilité mutuelle et permanente dominait, il n’y a pas si longtemps, la politique internationale et dont le rapprochement et les efforts de bonne entente, qui ont changé la face de l’Europe, constituent, sans doute, l’un des événements les plus importants, l’une des acquisitions les plus considérables de l’après-guerre.
On n’oserait affirmer, cependant, que l’accession au pouvoir du général de Gaulle, dans les conditions que l’on sait, ait été chaleureusement accueillie en Allemagne. Beaucoup d’Allemands voient sans plaisir dans la personne du président du Conseil celui qui a réussi, par son audace, sa persévérance et sa foi, à rétablir la France au rang des puissances victorieuses et des puissances occupantes. Il leur apparaît comme l’incarnation du nationalisme français, germanophobe -pensent-ils- par principe et par tradition. Ils le soupçonnent, en conséquence, de n’être aucunement européen, ou de ne l’être que du bout des lèvres, et de ne songer qu’à entraver, à ralentir ou à arrêter les progrès de l’organisation de la Communauté des six pays.
« L’opinion allemande, dans sa majorité, n’est pas insensible au courage dont a fait preuve I’homme du 18 juin. »
André François-Poncet
Au sujet de Nasser, du Moyen-Orient, du problème algérien, une partie, une trop grande partie de la presse fédérale s’est refusée à comprendre que, derrière le dictateur égyptien, la Ligue arabe et le F.L.N. se dissimule la stratégie soviétique, et qu’en défendant ses positions en Afrique du Nord la France protège, en réalité, l’Europe occidentale et, par suite, l’Allemagne elle-même contre la menace d’encerclement. Elle a publié des articles, trop d’articles, empreints de malveillance et parfois de méchanceté à notre égard. Robert d’Harcourt, observateur vigilant et dont la rigoureuse honnêteté ignore tout parti pris, les a signalés et déplorés dans une récente brochure (1).
Il n’en est pas moins vrai que l’opinion allemande, dans sa majorité, n’est pas insensible au courage dont a fait preuve I’homme du 18 juin, à l’attraction qu’exercent sur elle les caractères bien trempés, les personnalités fortes. Il ne lui échappe pas non plus que l’Allemagne n’a pas intérêt à avoir à ses côtés une France turbulente et en déclin. La masse d’Outre-Rhin demeure, à travers les écarts de température auxquels elle est soumise foncièrement fidèle à la cause de l’apaisement franco-allemand et des relations cordiales entre les deux pays. Ceux qui ont cru qu’elle suivrait des mots d’ordre d’inspiration antifrançaise se sont trompés. Les élections d’il y a quelques mois, triomphales pour Adenauer, l’ont clairement signifié.
Telles sont les raisons, quelques-unes des raisons, pour lesquelles, pénétrés de la nécessité de se voir, de nouer connaissance et de s’entretenir l’un avec l’autre, le général et le chancelier n’ont pas précipité le moment de leur rencontre. Le général a, tout de même, eu soin, dès l’origine, de rassurer son collègue et de l’informer qu’il tiendrait à l’honneur de respecter les traités signés par la France et relatifs à l’institution de la Communauté économique européenne.
On notera qu’en acceptant d’aller rendre visite au général dans sa maison et de passer la nuit sous son toit le chancelier, plus âgé et chef de gouvernement depuis près de dix ans, a donné, de son côté, gage de sa bonne volonté et de son désir d’imprimer à l’entrevue un cachet, non de cérémonie mais de confiance et d’intimité.
Les deux hommes, également conscients de leur valeur et de nature ombrageuse et secrète, ne sont pas exempts, dans le premier abord, d’une certaine raideur. Ils seront impressionnés l’un par l’autre et ne le laisseront pas paraître. Mais, très vite, le contact s’établira, le courant passera. Aussi bien le climat de l’entretien aura-t-il été préparé par l’excellent ambassadeur d’Allemagne à Paris, le baron von Maltzan, et par l’intelligent et charmant François Seydoux, qui a remplacé à Bonn M. Couve de Murville.
Les interlocuteurs ont, du reste, entre eux des points communs: une humanité profonde, l’élévation naturelle de la pensée, l’aptitude à négliger les détails pour saisir dans ses grandes lignes et dans sa simplicité l’ensemble d’une situation, la pureté des mobiles, une énergie obstinée dans la poursuite d’un objectif clairement aperçu. De la République de Bonn, le chancelier a fait une démocratie autoritaire. N’est-ce pas ce que le général voudrait faire de notre cinquième République. L’un et l’autre aiment le Parlement plus qu’ils n’aiment les parlementaires; l’un et l’autre sont religieux, mais non pas cléricaux. Tous deux, surtout, ont les yeux ouverts; ils voient le communisme développer méthodiquement sa propagande, persévérer dans ses desseins, étendre partout ses tentacules; ils savent que la civilisation humaniste et chrétienne, la civilisation blanche d’Occident est exposée à des périls qui se resserrent sans cesse autour d’elle.
« Le noyau de toute organisation européenne, c’est l’accord de la France et de l’Allemagne. »
André François-Poncet
En face de ces dangers, le chancelier regrette que l’O.T.A.N. n’ait pas plus de consistance et ne se transforme pas en une véritable association politique. Selon lui, l’Europe, appuyée sur l’Amérique, prolongée par l’Afrique, doit se fédérer, unir ses forces, concerter son action, s’organiser; et le noyau de toute organisation européenne, le pivot de toute défense continentale, c’est l’accord de la France et de l’Allemagne. Les résidus de méfiance, de rancune ou de hargne doivent être patiemment, mais résolument éliminés. Les intérêts des deux peuples sont solidaires. Ce qui est mauvais pour l’un ne peut être bon pour l’autre. L’expérience du Marché commun le démontrera. Au-dessus des malentendus et des incidents de la vie quotidienne, la coopération, la confiance, l’amitié doivent régler, désormais, leurs rapports. C’est le mérité de Konrad Adenauer de l’avoir compris, de l’avoir voulu, de le vouloir et de ne s’être jamais laissé détourner par les déceptions et les déboires de la voie de la cicatrisation, de la réconciliation qu’il s’est tracée, en venant au pouvoir.
Il n’est pas concevable que Charles de Gaulle ne soit pas disposé à répondre aux sentiments, aux désirs, aux efforts de l’homme d’État qu’il recevra à Colombey et à marcher avec lui sur la même route, vers un même but.
Il n’y a pas, au surplus, à l’heure actuelle, de problème, de crise spécifiquement franco-allemande à résoudre. Il n’y a pas à attendre de la rencontre de Colombey de grandes décisions. Tout au plus y a-t-il, dans ce petit village de Lorraine, une atmosphère à réchauffer.
Je serais fort étonné si les vues des deux interlocuteurs sur le monde, leurs jugements sur les hommes ne concordaient pas. Qu’ils apprennent à se connaître et à s’apprécier mutuellement sera déjà un suffisant bienfait.
(1) L’Allemagne d’Adenauer, Flammarion 1958.
Par André FRANÇOIS-PONCET de l’Académie française